T.030 – Se tromper de cible

N’est-ce pas une erreur bien humaine que de se tromper de cible ?

Nous nous fixons toujours des objectifs, même inconsciemment, et ce sont très souvent nos douleurs et nos hantises qui se prêtent à les définir. Nous pouvons ainsi passer notre vie à poursuivre des objectifs trompeurs et quasiment inatteignables, tandis qu’ils grandiront et gagneront en importance au fur et à mesure que nous nous en approcherons, d’où l’éternelle insatisfaction qui nous caractérise. Ou, bien au contraire, si ces objectifs sont aussi éloignés que les étoiles, les échecs en seront tout aussi nombreux. Alors, on finira, soit par se mentir – essayant malgré tout encore et encore et croyant que le prochain essai sera le bon – soit par se laisser mourir, car incapable de se fixer de nouveaux objectifs, ce qui conduit à la dépression.

La question n’est donc pas de pouvoir atteindre oui ou non nos précieux objectifs, mais il s’agit plutôt de chercher à les analyser et à comprendre. Je dois surtout être honnête quand j’examine ma volonté. C’est seulement ainsi que je prendrai conscience que je tiens dans mes mains le mauvais arc et que je vise la mauvaise cible.

Depuis plusieurs semaines, je projette un déménagement de 11 000 km par rapport au lieu où je me trouve. Il va sans dire que c’est une entreprise coûteuse : en terme d’argent, de temps, d’énergie et de démarches diverses. Le Seigneur est certes à mes côtés, mais je suis humainement seule pour tout organiser et pour tout faire.

Dieu sait combien ce projet me tient à cœur. Il sait que je n’ai sur toute la terre aucun endroit auquel je puisse prétendre appartenir, aucun lieu dans lequel j’ai pu planter racine, aucune patrie ici-bas avec laquelle je puisse m’identifier. Il sait qu’il n’y a aucune place où je me sente à ma place, aucune à part cette île, qui fut pour moi le lieu de rencontre avec mon Créateur et mon Rédempteur, lieu de conversion, lieu de baptême et point de départ d’une nouvelle vie en Christ, il y a maintenant onze ans. Il sait que depuis que j’ai quitté ce lieu, je n’ai jamais retrouvé ce que j’ai perdu, ni jamais retrouvé le privilège que j’avais d’être réellement accueillie.

Le Seigneur Jésus est très bien placé pour connaître cette étrange et douloureuse sensation que d’être un étranger là où l’on se trouve et de ne pas appartenir à cet endroit, ni à tous ceux dans lesquels on chemine ici-bas. Qui peut le comprendre mieux que Lui ? Il a quitté Son ciel de Gloire pour venir S’installer sur la terre de manière passagère, cette terre toute corrompue qui n’a rien de commun avec Son Royaume céleste tellement parfait. Il a également quitté Son foyer, le foyer de Sa jeunesse à Nazareth, où Il avait Sa famille, Ses amis et les coutumes de Ses ancêtres, sur lesquels tout Son peuple a fondé son identité. Il quitta tout cela pour devenir un nomade, un sans-foyer, un marginal itinérant qui parcourait les routes poussiéreuses de diverses contrées et cultures, Se faisant traiter de traitre et de « hors-la-loi ». Il ne retrouva plus sur terre la douce chaleur du village de Son enfance. Il sait combien cette sensation est cruelle et Il sait combien la solitude est amère.

Jésus sait tout cela et, dans Sa grande bonté compatissante, Il comprend ce qui m’anime. Mais pourtant, pendant de longues semaines, c’est comme s’Il S’était contenté de rester là, à me regarder et à attendre… Je déplorais Son attitude passive, tandis que je tentais par de nombreux efforts d’organiser mon déménagement. Souffrant de voir mon projet au statut de rêve abstrait et de ne pouvoir le concrétiser, je passais mon temps à faire mes comptes.

Comme le suggère la raison humaine, je calculais la somme de tout ce dont j’aurais besoin financièrement dans chaque étape de mon projet. Je calculais la somme de toutes les économies et gains possibles durant les mois jusqu’à la date de départ souhaitée. Et je calculais ce qui me restait encore à obtenir. Mais incapable de me fier à ces calculs, qui s’avéraient toujours faux et qui s’effritaient jour après jour comme des châteaux de sable, je refaisais sans cesse de nouveaux calculs…  Tout allait de travers et je manquais inlassablement ma cible : la somme à atteindre pour enfin réaliser mon projet.

Puis, quelque chose d’imprévisible arriva, à priori pour moi un grand malheur : j’eus un accident de voiture, provoqué toute seule par ma simple inattention, à force de réfléchir à l’argent qui me manquait et de ne pas me concentrer sur la route. C’est ainsi que je perdis ma voiture. Mon assurance-automobile ne pouvait intervenir, car là-dessus j’avais également cherché à économiser, souscrivant la formule la plus basique. Sachant cela, au moment de l’accident, je fus très angoissée : à mes yeux, c’était tout mon projet qui s’écroulait subitement. Pas de voiture, donc pas de travail. Point de travail, donc point d’économie. Et sans économie, pas de possibilité d’obtenir la somme fixée, donc impossible d’atteindre ma cible !

Paniquée et seule, tandis que je sortais du fossé dans lequel je m’étais enfoncée, je vis en face de moi arriver une voiture qui s’arrêta pour me faire signe de me retourner, ce que je fis aussitôt. J’aperçus un véhicule de police avançant vers moi, avec deux gendarmes qui arrivèrent à la rescousse. Ils s’occupèrent de tout et gérèrent la situation sans que j’aie besoin de faire quoi que ce soit. Un court moment après l’accident, ma voiture et moi furent emmenés par un dépanneur vers le garage du village le plus proche. Le garagiste se démena pour trouver, parmi ses voitures de prêt toutes en circulation, une qu’il puisse récupérer immédiatement pour la mettre gracieusement à ma disposition. En un rien de temps, je repartis travailler comme s’il ne s’était rien passé. Tout se passa si vite et fut si bien orchestré que j’en eus le souffle coupé.

Dieu savait exactement à quelle heure et en quel lieu j’aurais cet accident et Il mit tout en œuvre pour faire venir les bonnes personnes au bon moment, là où j’en avais grandement besoin. Cette expérience assez singulière eut pour effet de me détendre un peu. Mais cette sensation d’être serrée dans Ses bras fut malheureusement de courte durée, car, au fond de moi, je craignais plus que jamais pour la concrétisation de mon projet : pour mon objectif d’épargne, auquel j’attribuais de plus en plus d’importance. Je devrais certainement arrêter mon petit job bien lucratif, dont la condition requise est d’avoir un véhicule. Et je ne pourrais plus me servir de ma grande voiture pour le déménagement, mon plan initial étant de la faire transporter complètement chargée par bateau. Et le pire était que, de toute évidence, il me faudrait quatre fois plus de temps pour mettre la somme requise de côté…

Toute mon angoisse d’envola le jour où je reçus le rapport d’expertise : l’accident étant survenu pendant mon travail, l’assurance professionnelle prit en charge le sinistre en me dédommageant du dépannage et en rachetant ma vieille épave à un prix que je n’aurais pas osé imaginer. Cette sournoise angoisse repartit aussi vite qu’elle était venue, le jour où j’avais soudain perdu le contrôle de mon véhicule. Je compris alors que cet accident – qui m’avait fait lâcher les rênes de mon existence présente – était la manière surprenante et imprévisible dont Dieu avait agi : se servant d’un mal pour le transformer par des circonstances miraculeuses en bien, et pour apporter par ce biais solution et délivrance.

Ma manière de procéder n’était pas bonne et mon plan n’était pas celui du Seigneur. Je m’étais attachée à l’idée qu’il me faudrait travailler dur durant tous les mois qu’il me resterait avant le déménagement. Je laissais ma fille seule à la maison, dès le matin tôt, et de longues heures jusqu’au soir. J’étais physiquement trop épuisée par les heures de ménage pour être encore capable en rentrant de m’occuper correctement de mon enfant et de ma maison. Je n’en pouvais plus de courir et de tous ces trajets à foncer d’un domicile à un autre, de village en village, en craignant d’arriver en retard. Mais je me cramponnais à mon objectif qui trônait dans mon esprit sur un haut piédestal. Je prenais très souvent des analgésiques assez forts pour tenir le coup, croyant qu’il n’y avait pas d’autre moyen, pas d’autre chemin pour arriver à mon but. Puis, Dieu m’a soudain délivrée de ma fatigue et de mes obligations. Et Il m’a libérée de mon angoisse.

L’indemnisation de l’assurance est arrivée, trop peu pour racheter une bonne voiture, mais assez pour payer les billets d’avion : pour un adulte, un enfant et trois animaux de compagnie. Quelle joie ce fut d’être enfin en mesure de régler la question de l’avion ! Quelle délicieuse euphorie ! Je louais Dieu pour cela, mais ce fut de bien courte durée, car je commençai à sentir une nouvelle vague d’angoisse…

J’étais encore bien loin de la somme fixée, même en faisant abstraction des billets d’avion. Et surtout, je n’avais toujours pas trouvé de logement là où je comptais déménager. La cruauté du temps qui passe jour après jour, sans jamais vouloir s’arrêter un peu, accentuait l’intensité de ma crainte. N’ayant pas de solution d’hébergement, je ne pouvais en aucun cas risquer de nous retrouver dehors sous les ponts… J’attendais donc nerveusement que les choses se concrétisent avant de réserver le vol. C’était naturellement ma manière de procéder : d’abord m’assurer des conditions les plus sûres, puis agir. Mais, paradoxalement, cette attente m’éloignait encore plus de mon objectif, puisqu’elle réduisait chaque jour un peu plus les chances de partir le jour prévu au tarif souhaité. Quelle ambigüité était-ce là : chercher la sécurité et, dans cette mesure, la perdre !

Je compris enfin que, depuis le début, je m’étais trompée de cible. L’objectif à atteindre n’était pas de mettre une certaine somme de côté – aussi raisonnable cela paraissait-il – pour couvrir tous les frais liés au grand déménagement. Cette somme n’aurait jamais été atteinte. Et même si elle l’avait été un jour, l’objectif serait devenu plus grand et l’angoisse serait restée la même.

Le Seigneur, en me donnant par des circonstances miraculeuses la somme nécessaire pour l’achat des billets d’avion, ne m’avait-Il pas prouvé qu’Il pourvoie en temps voulu de Sa manière et selon Son plan ? Doit-Il Se confiner dans une méthodologie humaine ? N’a-t-Il pas le droit de choisir Ses méthodes ? N’y a-t-il pas, pour Lui, plus de gloire à réaliser des choses surprenantes que personne ne peut prévoir et que Lui seul connaît ? Se glorifierait-Il autant en suivant à la lettre un petit plan conçu par un humain qui n’y connaît pas grand-chose ? Doit-Il suivre la même chronologie que celle que l’esprit humain – prisonnier à l’intérieur de l’espace et du temps – impose à la raison de manière tout à fait catégorique et hermétique ? Et est-ce un témoignage de foi que de suivre un tel raisonnement ? Quel est donc le véritable objectif ?

J’ai compris que mon vrai objectif est de marcher par la foi, contrairement à l’habitude que j’avais prise de toujours tout calculer. Mon vrai objectif est de m’appuyer sur ce que Dieu me donne présentement, et non pas sur ce qui me manque encore. Mon objectif est de me fier à ce que Dieu est, et non à la fausse sécurité des placements, des certificats et des preuves. Mon objectif est de mettre mon cœur dans le cœur de Dieu : c’est-à-dire de ne compter que sur l’assurance qu’Il m’aime et sur Son omnipotence si je me confie en Lui.

Il me faut oublier l’ancienne cible et ne plus mettre ma foi dans des calculs chimériques qui n’aboutissent à rien, puisque je ne suis pas maître des circonstances. Je ne sais finalement pas grand-chose, car, dans ma condition humaine si limitée, je ne connais que peu de choses. En vérité, dans tout ce qui m’arrive, je ne suis sûre de rien ; mais il y a une certitude inébranlable et indéracinable : l’Amour tout-puissant de notre Dieu et Sauveur Jésus-Christ. Voilà désormais ce sur quoi je fonde la réalisation de mon projet, et non plus sur des critères terrestres et matériels.

A force d’attendre que les choses se concrétisent, je n’attrapais pas la main que Dieu m’avait tendue et je ne l’entendais pas me dire : « Voilà ma fille pour tes billets d’avion. C’est aussi simple que cela ». Mais nous autres, les humains, nous aimons bien nous compliquer la vie. Nous créons nous-mêmes la plupart de nos problèmes. Nous nous imposons des règles selon nos coutumes et nos traditions. Nous pensons que nos méthodes sont les seules qui soient valables et efficaces. Quelle erreur grossière ! Une erreur qui éloigne de Dieu, puisqu’elle est aux antipodes de la foi toute simple et authentique que Jésus nous a enseignée et par laquelle Abraham – notre modèle de foi – a marché. Cette fois enfantine et sincère qui nous remplissait à l’aube de notre vie chrétienne, alors que nous venions de nous convertir au système de valeurs de Dieu.

Mais le monde et son système de valeurs qui nous entourent en permanence reprennent si facilement le contrôle… Nous sommes comme des éponges qui nous imbibons du jus de la mentalité qui nous environne, le jus amer des croyances populaires de notre société. Quelle prison est-ce là ! Or, Jésus nous recommande de ne pas nous laisser influencer et de ne pas laisser le système qui nous entoure déteindre sur nous et sur notre manière d’agir. Il nous met en garde tout le long de la Bible, jusque dans l’Apocalypse lorsqu’Il S’adresse aux Églises.

La foi brise les murs de la prison. Par la foi, nous ne dépendons plus des circonstances ou des objectifs erronés que nous nous fixons si maladroitement. Nous ne dépendons plus que de Dieu et cheminons en nous laissant porter en toute confiance par Sa Grâce souveraine et Sa toute-puissance.

J’ai acheté les billets d’avion. J’ai changé mon idée à propos de la date. J’ai changé la chronologie de mes idées. J’ai changé de méthode. Et j’ai bien sûr avant tout changé d’objectif. Ce cheminement pédagogique m’a poussé à changer mes objectifs dans d’autres domaines également, puisque cette leçon ne se limite pas au sujet de la réalisation d’un projet ; elle peut s’étendre sur tous les sujets pour lesquels nous émettons un désir et nous nous fixons un but.

Par exemple, une personne qui se trouve beaucoup trop corpulente et d’une laideur accablante pourrait changer de cible en arrêtant d’essayer de maigrir et de s’acheter toute sorte de cosmétiques et de produits d’amaigrissement. Elle redéfinirait son objectif en visant le bien-être dans le corps que Dieu lui a donné, et en prenant soin d’elle sans chercher à se transformer. Elle y trouverait joie, santé et satisfaction. Elle rendrait gloire à Dieu en se découvrant un charme qui lui est propre.

Une personne qui ne plaît à personne peut avoir comme objectif grandissant celui de se marier, afin de prouver au monde et à elle-même qu’elle peut être aimée, que sa présence et sa compagnie peuvent être jugées agréables, puis, par cet être aimant, oublier sa profonde solitude qui n’a cesse de la torturer. Cette personne peut redéfinir ses objectifs en vivant par la foi en l’Amour du Christ pour elle et en se voyant mariée à Lui. Elle n’est pas forcée de faire abstraction de son désir, mais il reviendra se mettre au statut de désir, et non plus au statut de cible à atteindre à tout prix. Ainsi, le jour où l’amour viendra frapper à sa porte, cela aura évité de gâcher cette rencontre qui aurait pu facilement se fendre sous l’avalanche de l’impulsive obstination.

Pour chaque chose, il est bon d’examiner ses intentions, ainsi que la nature profonde des motivations qui nous habitent. En changeant de cible (objectif) et d’arc (méthode), on se rend compte que Dieu n’est plus un spectateur passif, mais qu’Il prend les rênes. Un grand soulagement vient s’installer dans le cœur du chrétien, même si la situation n’est pas encore complètement dénouée et si la délivrance n’est pas encore complète ou visible.

Gloire à Dieu, notre enseignant et pédagogue, qui n’a cesse de nous instruire : ceci car Il souhaite le meilleur pour nous, c’est bien cela Son objectif !

C’est sur cette base que j’ai effectué ce grand pas de foi : suivre la chronologie de Dieu et ne pas m’inquiéter pour demain, ni pour le jour de mon déménagement. Nous ne dormirons certainement pas sous les ponts en arrivant sur l’île. Je n’aurai pas non plus à mendier. Dieu – j’en suis sûre – nous réserve une belle surprise : en temps voulu, selon nos besoins et à Sa manière. Car Il agit peu par peu, au fur et à mesure, sans quoi le mot « foi » ne voudrait plus rien dire.

L’Homme, qui a construit des satellites, veut avoir une vue aérienne afin de connaître tous les endroits de la terre et de pouvoir mieux contrôler le monde, ce qu’il croit véritablement bien faire. Il en oublie que seul Dieu est Dieu ; Lui seul a une vue panoramique sur tous les évènements, en dehors de l’espace et du temps.

« Vous demandez, et vous ne recevez point, parce que vous demandez mal » (Jacques 4:3).

« Tenez-vous donc fermes dans la liberté, dont Christ vous a rendus libres, et ne vous remettez pas de nouveau sous le joug de la servitude » (Galates 5:1).

« Le but du commandement, c’est la charité, qui procède d’un cœur pur, et d’une bonne conscience, et d’une foi sincère » (1 Timothée 1:5).

« Or la foi rend présentes les choses qu’on espère, et elle est une démonstration de celles qu’on ne voit point » (Hébreux 11:1).

« Tout ce que l’on ne fait pas avec foi, est un péché » (Romains 14:23).

Soyez bénis !

Anne-Gaëlle