T.031 – Des créatures inachevées

Ce jour a été pour moi vraiment spécial : après de longs mois d’attente, j’ai revu une personne dont j’avais une très mauvaise opinion et Dieu m’a donné une bonne leçon…

En effet, je nourrissais semaine après semaine de la rancune envers cet homme – qui se trouve être de ma parenté – parce que j’avais cru ses beaux discours avant de devenir sa locataire et de venir m’installer dans ce village que j’ai tellement méprisé par la suite. Après avoir amèrement regretté, j’ai organisé peu à peu mon départ et lutté de toutes mes forces pour témoigner de mon zèle dans les conditions les plus difficiles. Tous les efforts et la fatigue pour repeindre les murs et arranger cet appartement, qu’il m’était impossible d’affectionner, tout cela nourrissait en moi une sensation d’injustice.

Il avait empoché la caution de mon prédécesseur sans rien arranger dans le logement et m’avait demandé de tout remettre en bon état par mes propres moyens, ce qui équivalait pour moi à faire le travail d’un autre sans aucune aide ni rémunération. En d’autres termes, il fallait que je répare les bêtises et enlève la saleté d’un autre, et que je le fasse gratuitement… Comme le Christ le fait pour nous tous ! Mais Lui le fait sans broncher, sans Se plaindre une seule fois, tandis que moi, j’ai laissé ma perception m’induire en erreur et je me suis lamentée…

Outre les questions d’appartement, je reprochais à mon oncle de ne pas s’être occupé de nous, de ne nous avoir jamais invitées, ma fille et moi, alors que nous nous étions géographiquement rapprochées de lui. Je lui reprochais de ne pas avoir tenu sa promesse de me présenter à ses amis. Je lui en voulais de nous avoir laissées dans la plus grande des solitudes pendant toute une année, ce qui nous a semblé être une éternité.

J’étais tellement déçue et écœurée par sa négligence, tellement irritée par l’esprit de profit que je lui attribuais, que je n’ai eu cesse ces dernières semaines de le critiquer et, dans mon indignation, de médire sur sa personne devant d’autres. Tandis que je me préparais à affronter la dureté et l’intransigeance de cet oncle que je prenais pour un monstre, le Seigneur m’a rappelé à l’ordre…

J’ai passé beaucoup de temps à repeindre, à nettoyer, à retoucher, à rafistoler, de manière à ce qu’il se plaigne le moins possible, car je ne pouvais pas répondre parfaitement à toutes ses exigences. J’étais malade d’angoisse. C’est alors qu’il est arrivé : il nous a immédiatement invitées au restaurant, où nous avons mangé copieusement. Il s’est montré très courtois avec moi. Il nous a posé beaucoup de questions et a fait preuve d’un grand intérêt pour notre avenir, ainsi que d’une grande curiosité vis-à-vis de notre future cadre de vie. Nous avons agréablement bavardé et j’en ai oublié toutes mes craintes !

L’état des lieux fut rapide : il ne regarda rien en détail, il s’exclama d’admiration devant la blancheur des murs, lorsque je lui montrai fièrement que j’avais également repeint le salon, qui est la pièce la plus vaste. Il jeta de brefs coups d’œil dans les autres pièces, tandis que je le guidais en commentant mon travail. Après avoir rempli son formulaire, il resta encore pour écouter mes mésaventures concernant la préparation de mon déménagement, ainsi que le récit de mes difficultés. Puis il sortit un moment et revint en me tendant une liasse de billets, ceci en me souhaitant un bon nouveau départ.

Telles furent ses paroles : « Pour t’aider à redémarrer… Parce que tu le mérites : tu as un cœur en or ». J’en fus complètement bouleversée, d’autant plus qu’il me serra dans ses bras et m’embrassa à deux reprises. Cet oncle que j’avais tendrement aimé dans mon enfance, et que la vie avait éloigné de moi jusqu’à ne devenir dans mon ressentir qu’un glacial inconnu, un lointain propriétaire…

Moi, le monstre de médisance, le puits de rancune. Moi au cœur si noir d’impuretés, j’avais à ses yeux un cœur en or ! Ai-je déjà reçu dans ma vie leçon plus parlante que celle-ci ? Oui, je le crois bien : une fois ou deux, peut-être plus, mais ces leçons furent vite oubliées… Comment mon Seigneur et Père peut-Il encore, après tant d’années et après tant d’erreurs de ma part, avoir si grande compassion pour m’offrir une autre leçon, d’une façon si aimante ? Serrée, embrassée, complimentée de manière injustifiée sur ce cœur qui est le mien et que Lui seul connait vraiment. Et avec tant de générosité, puisque ce sont des coups de règle sur les doigts que je méritais, et non une liasse de billets avec un copieux repas !

Mon oncle m’offrit également un très joli stylo, celui-là même avec lequel j’écris ces mots dans mon journal. Ce stylo est muni au bout d’une petite lampe : c’est pour me rappeler symboliquement que j’ai besoin de lumière. La Lumière de Dieu, je ne peux pas la générer en moi. La miséricorde de Dieu, je ne peux pas la générer en moi. Je ne peux rien générer de bon en moi, je veux dire, rien de pur.

Tous les êtres humains – chrétiens, païens ou athées – ont en eux de bonnes et de mauvaises choses, mais rien de pur, rien de parfait. Je crois que c’est cela que l’apôtre Paul voulait dire quand il a écrit que le bien n’habite pas en l’homme : il n’y a rien de vraiment parfaitement bien dans l’être humain, car le bien qu’on trouve est souvent limité et corrompu par le mal. Quand on le sait déjà, on est moins déçu par les fausses promesses, les mensonges, les fraudes et autres supercheries, puis on se pose moins de questions quant à la versatilité de certains caractères.

Mais ne voir dans l’homme que le mal et le péché est une attitude bien dangereuse : cette attitude pousse inévitablement à adopter une tournure d’esprit très étroite qui assèche le cœur et nous place là où nous n’avons pas le droit de nous placer : dans la position de juge suprême. Et pour sûr, cette attitude nous rend à la longue méprisant et rancunier, et donc incompétent en qualité de justice.

L’être humain qui ne perçoit que les travers de son prochain en oublie qu’ils ne sont tous deux que des humains et donc, par définition, des créatures petites et inachevées pour lesquelles le Créateur a encore beaucoup de leçons en réserve…

La médisance est une épice nocive dont on pourrait tous se passer. Et pourtant, elle assaisonne les conflits et les guerres, et les engendre parfois. Mais même si elle peut être basée sur des faits réels, rien ne la justifie, car elle ne révèle au mieux qu’une partie de la réalité : seul Dieu omniscient connaît la totalité des faits dans toute leur vérité. Seul Dieu peut soulever le rideau de chaque existence, de chaque vie privée, de chaque vie secrète. Seul Dieu peut révéler ce qui se cache derrière : les sacrifices des uns et des autres faits en silence dans l’anonymat, les douleurs qui poussent les uns et les autres à mal agir, les difficultés que les uns ou les autres traversent sans forcément le laisser paraître, la fiabilité du succès – friable ou solide – dont les uns et les autres peuvent de vanter… Dieu sait tout en vérité tandis que nous, nous ne savons rien, et bien souvent nous nous trompons sur les autres, tout comme nous nous trompons sur nous-mêmes.

Ainsi, il est impératif pour moi d’écrire mes erreurs et, par la grâce de Dieu, de les corriger, et nécessaire d’avertir les uns et les autres, en toute humilité. Même si cela me coûte cher, car nombreuses sont les larmes que j’ai versées et grande est l’humiliation que j’éprouve. Quand notre Père nous reprend, c’est douloureux et soulageant à la fois. Cela blesse l’orgueil, cela brise le cœur qui se remplit de honte. Mais cet embarras est salvateur, puisqu’il est précurseur du salut. La Rédemption par le sang parfait du Christ est un baume qui apaise et guérit. Comme un baume gras sur une cuisante brulure, le pardon du Père efface progressivement la douleur et le trouble. Quelle joie soudaine, là où il n’y avait que honte et regrets !

Dieu est un Père qui pardonne tout en offrant Sa sagesse pour continuer la route. Il offre Sa sagesse divine sous la forme de conseils bienveillants, d’une affection palpable et de multiples bienfaits, jusque dans les détails pratiques et les besoins les plus matériels. Avec tant d’attentions, il est difficile de concevoir combien nos offenses et tout le mal que nous avons fait peuvent Le tourmenter. Et pourtant, Il en souffre. Il souffre pour nous, Il prend tout sur Lui et Il nous tend Sa main. Toujours et encore, encore une autre fois.

Je découvre en Dieu toujours plus l’image d’un Père, une image qui se renouvelle chaque jour : il le faut, car l’image terrestre de ce que l’on appelle un « père » est souvent tellement déformée… Ce père-là, certains ne veulent même pas y penser. Pour moi comme pour bien d’autres, ce sont des eaux troubles et amères, des mers agitées, un océan d’abandon, un iceberg de solitude, des orages de colère. Ce sont des paysages désolés, des croquis inachevés, des mélodies muettes, des plaies béantes. C’est tout un univers de glace que peut renfermer en soi le seul mot « père ».

Alors, il faut réapprendre à aimer ce mot. Il faut le comprendre à nouveau, se faire une nouvelle image de sa réelle définition, de sa véritable signification dans les cieux. Jour après jour, déception après déception, l’Esprit de Dieu œuvre en ce sens afin de faire régner la miséricorde divine dans nos cœurs d’enfants de Dieu, ainsi que dans notre perception trop humaine.

En apprenant à mesurer l’Amour du divin Père au-travers de Sa parfaite éducation à notre égard, nous deviendrons assez petits pour relativiser tout le mal qui nous pousse à nous haïr les uns les autres, et assez grands pour déceler de la lumière même chez nos ennemis, puis assez sages pour percevoir les lueurs du bien dans chaque être humain avant de le condamner et de le mépriser.

Que Dieu nous offre Son regard juste et miséricordieux, ainsi que l’humilité et la patience nécessaires pour nous modérer dans nos élans négatifs.

Soyez richement bénis !

Anne-Gaëlle

« Car je sais que le bien n’habite point en moi, c’est-à-dire, dans ma chair, parce que j’ai la volonté de faire le bien ; mais je ne parviens pas à l’accomplir » (Romains 7:18).

« De la plante du pied jusqu’à la tête, il n’y a rien de sain ; ce ne sont que blessures, meurtrissures et plaies vives, qui n’ont point été pansées, ni bandées, ni adoucies avec l’huile » (Esaie 1:6).

« Si quelqu’un d’entre vous pense être religieux, et ne tient point sa langue en bride, mais trompe son cœur, la religion d’un tel homme est vaine » (Jacques 1:26).

 « Celui qui n’aime point [son prochain], n’a point connu Dieu ; car Dieu est charité » (1 Jean 4:8).

« Pour nous, nous avons connu et cru l’amour que Dieu a pour nous : Dieu est charité ; et celui qui demeure dans la charité, demeure en Dieu et Dieu en lui » (1 Jean 4:16).

« Et quoi que vous fassiez, faites-le de bon cœur, comme pour le Seigneur, et non pour les hommes » (Colossiens 3:23).