T.022 – Brouillard céleste

Existe-il quelque chose de plus beau sur terre qu’un paysage à l’heure du soir, plongé dans une divine brume ? Connaît-on exhalaison plus douce que celle du brouillard ? Comme un noble manteau brun recouvrant la terre, il la pare d’une beauté élégante et mystérieuse. Alors, les endroits ordinaires deviennent magnifiques ; on ne les reconnaît plus. C’est le prodige de Dieu de revêtir ainsi villes et campagnes d’une parfaite splendeur. L’épaisse brume envoûte tous les sens et l’on se croirait dans un autre univers.

J’avance dans le brouillard, chaque pas est serein. J’écoute la vapeur silencieuse qui m’entoure. Je savoure cette profonde quiétude. Je frisonne de toute cette beauté. L’étang, qui habituellement n’est qu’une mare insignifiante et perdue derrière le village morne que j’habite, devient somptueux. L’étincelante clarté des luminaires au loin est transportée avec douceur par la brume, jusqu’à mes yeux admiratifs. La lune aussi s’auréole timidement. Tout est voilé et limpide : c’est le miracle du brouillard de réunir en lui-même ce merveilleux paradoxe.

Des rayons de lumière apparaissent sur l’eau : tel un miroir trouble, elle reflète de manière imprécise l’éclat du paysage. En avançant, des silhouettes se dessinent peu à peu, des arbres nus aux branches entrelacées, peints à l’encre de chine sur une toile de fond cendrée. Tout ne se découvre que pas après pas ; chaque pas est un instant surnaturel. L’épaisse substance vaporeuse, omniprésente, étrange, forme un rideau impalpable. On ne peut le soulever, ni le traverser. Il est partout, splendide et étourdissant.

Dans l’arène brumeuse, le temps est comme figé. Il n’y a ni avenir, il n’y a ni passé. L’épais nuage gris aux nuances rosées a le pouvoir de me soustraire aux vicissitudes de la vie. Plongée dans cette vapeur enivrante, le présent me saisit, il me serre fort et rien de ce qu’il renferme ne m’échappe. Je sens la brise humide pénétrer dans mes poumons. Même l’oxygène devient pur ; je ne savais pas que l’air pouvait être si savoureux. Le brouillard que j’aime tant est une caresse. Je voudrais demeurer des heures entières dans ses bras invisibles.

La journée, il est plus pâle, mais il ne perd en rien de son étrangeté. J’aime conduire dans le brouillard, j’aime ne voir que quelques mètres devant moi. Je suis la ligne blanche sur le bord de la route. J’avance dans cette délicieuse extase, découvrant chaque fois un paysage plus éblouissant. La brume se désépaissit par endroit, tout devient net, puis tout redevient trouble. L’espace boisé de chaque côté de la route ressemble à ceux des contes ; la singulière omniprésence du brouillard lui donne des attraits féériques. Tout ce qui est caché derrière la nuée mystérieuse n’attire pas ma curiosité. La nébulosité est si belle avec ses jeux de lumière, elle rend mon cœur captif et me remplit de joie.

Quelle chose abstraite que le brouillard ! Je voudrais le peindre, mais je ne peux pas. Je voudrais le décrire, mais c’est impossible. Je voudrais expliquer ce qu’il produit en moi, mais les mots sont trop faibles. Pourtant, il faut que je parvienne à capter l’œuvre divine pour conserver et transmettre la perfection de cette œuvre. Le brouillard dans lequel j’aime marcher longuement, celui que la plupart des gens méprise, est semblable au souffle de Dieu. Mais moi, je l’aime intimement, telle l’haleine du Créateur que je vénère.

Quand je me tiens au milieu de la brume, sans voir ce qui se trouve autour de moi, c’est dans les bras de Dieu que je me trouve. Je Le découvre comme Peintre, tandis qu’Il dessine une à une les silhouettes à l’encre de chine. Je Le découvre comme Poète, tandis qu’Il me décrit la lumière dans sa sublime douceur, cette lumière exquise qui ne m’aveugle pas. Je le découvre dans Son omniprésence à travers la brume. Et plus rien n’a d’importance, sinon le seul plaisir de demeurer dans Ses bras.

Dans cette étrange masse nébuleuse, je ressens Sa Présence. Elle m’enveloppe et capte toute mon attention. Je suis éprise du paysage transformé dont la beauté remplit mon cœur. C’est Lui qui le transforme. C’est Lui qui change la réalité. Le brouillard translucide me transporte dans une autre dimension, au plus proche du Créateur, au plus profond de Sa Révélation. Il est là, Il m’entoure et je n’ai plus besoin de voir ce qui est devant moi.

La divine brume, dont Il est le Maître, pénètre mes sens et me rend capable de saisir la grandeur de Dieu. Il est capable en un tour de main d’assujettir la terre à une métamorphose. Il est capable de Se révéler dans la beauté la plus parfaite, celle d’un étang illuminé par un doux rayon que la lune dépose sur la trouble étendue. Il expose Sa Majesté dans une éclatante simplicité : la vision fantastique d’un jardin royal, qui n’étant que le pâle reflet de Sa céleste demeure, n’en reste pas moins un avant-goût du Paradis.

Eprise par toute cette beauté surnaturelle, les choses terrestres perdent de leur attrait. L’agréable vapeur que je respire semble épurer mes pensées. Je ne pense ni à demain, ni à hier. Je me réjouis d’être ici, au milieu du brouillard, plongée dans la Présence de mon Dieu. Peu m’importe de ne pas voir le chemin devant moi. Je sais me tenir debout, je sais faire un pas après l’autre, je n’ai pas besoin d’avoir un grand champ de vision pour cela. Le rideau nébuleux s’ouvre au fur et à mesure que j’avance. Il s’ouvre assez pour que je marche tranquillement, en toute sécurité.

Parfois, la nuée se retire et tout semble soudain si triste. Mes yeux cherchent alors au loin la prochaine vague de brume. Car j’aime me sentir enveloppée, j’aime la sensation de Lui faire confiance. J’aime la paix extraordinaire à l’intérieur de la nuée. J’aime la splendeur des paysages embrumés. Voilà pourquoi je marche pendant des heures au milieu de la campagne les soirs d’hiver. Là où les rues sont désertes, où l’on ne croise que des arbres et des oiseaux. Là où la solitude n’existe plus, mais seulement la douce haleine du Maître.

« Or il arriva, comme les sacrificateurs sortaient du lieu saint, que la nuée remplit la maison de l’Éternel ; et les sacrificateurs ne purent s’y tenir pour faire le service, à cause de la nuée ; car la gloire de l’Éternel remplissait la maison de l’Éternel » (1 Rois 8:10-11).

« Et la nuée couvrit le tabernacle d’assignation, et la gloire de l’Éternel remplit la Demeure ; de sorte que Moïse ne put entrer dans le tabernacle d’assignation, car la nuée se tenait dessus, et la gloire de l’Éternel remplissait la Demeure » (Exode 40:34-35).

 « Il étend le septentrion sur le vide, il suspend la terre sur le néant. Il renferme les eaux dans ses nuages, et la nuée n’éclate pas sous leur poids. Il couvre la face de son trône, il déploie au-dessus sa nuée. Il décrit un cercle sur les eaux, au point où la lumière confine avec les ténèbres. Les colonnes des cieux sont ébranlées, et s’étonnent à sa menace. Par sa force, il soulève la mer ; et par son habileté, il écrase les plus puissants rebelles. Son souffle rend le ciel pur ; sa main perce le dragon fugitif. Ce ne sont là que les bords de ses voies ; qu’il est faible le bruit qu’en saisit notre oreille ! Et qui pourra entendre le tonnerre de sa puissance ? » (Job 26:7-14).

« Comme il parlait encore, voici une nuée resplendissante les couvrit ; et voici il vint de la nuée une voix qui dit : C’est ici mon Fils bien-aimé, en qui j’ai pris plaisir ; écoutez-le. Les disciples, entendant cela, tombèrent le visage contre terre, et furent saisis d’une très grande crainte. Mais Jésus, s’approchant, les toucha, et leur dit : Levez-vous, et n’ayez point de peur » (Matthieu 17:5-7).

Que le Seigneur qui a créé la brume vous enveloppe de Sa Présence.

Qu’Il vous offre de contempler Son œuvre dans toute sa dimension divine, comme seuls peuvent le faire Ses enfants.

Soyez bénis,

Anne-Gaëlle